Plus il y pensait et moins il regrettait sa décision. L'aubergiste avait longtemps pensé que s'installer à Melandis serait une mauvaise idée, mais sa mauvaise réputation grandissante l'avait rapidement contraint à un déménagement vers la capitale de la terre du chaos. Et au début, il faut bien admettre que le caractère des autochtones dépassait même ses craintes les plus folles.

 

Mais il avait fini par y trouver son compte. Avant son exil, les bagarres étaient rares dans son auberge, malgré les guerriers saouls qu'ils convainquait d'insulter leur voisin de table, moyennant une légère rétribution. Et le fait qu'il détroussait les cadavres des perdants des bagarres qui arrivaient si rarement, soi-disant pour rembourser les dégâts, n'améliorait pas sa réputation dans la région. A tel point que les voyageurs commençaient à éviter son auberge.

 

A présent, les bagarres étaient si fréquentes qu'il avait même dû engager un adjoint pour trouver le temps de s'emparer des possessions des défunts bagarreurs perdants, tellement les rixes se déclenchaient rapidement. Et ces altercations devenaient une légende à Melandis. Plus d'une fois, il avait entendu les voyageurs lui demander : "C'est bien ici, l'auberge où on se bagarre tout le temps ?" Au début, il ignorait la question, ou répondait par un grognement. Mais depuis peu, il avait compris que c'était une source de fierté et de respect dans la région (certains bagarreurs venaient même quelques fois prendre sa défense), et il avait même renommé son auberge.

 

Mais il devait admettre, dans les rares cas où il disait la vérité, que les plus belles récoltes faites à "La Bagarre Persistante" étaient le fait d'un seul individu. Cet elfe, membre de la garde impériale, et dont il ne se souvenait jamais le nom, était longtemps resté un mystère pour lui. Au début, il le prenait pour un de ces voyageurs ignorant qui entraient dans son auberge sans vraiment savoir pourquoi, et qui en resortait par un miracle que peu auraient été capable d'expliquer, après avoir démembré la moitié de l'auberge. Car l'apparence de ce garde ne laissait pas transparaître le formidable potentiel de combat qu'il possédait, et nombre de clients de l'auberge avaient été bien surpris de le voir les transpercer de sa lame. Et lorsqu'il usait de magie, l'aubergiste se serait cru en plein ciel, au milieu d'un feu d'artifice.

 

L'aubergiste revint à la réalité lorsque l'elfe entra dans son auberge. Il lui sourit, d'un des rares sourire sincères qu'il adressait, car sa venue annonçait de beaux profits. Il lui apporta cette bière qu'il commandait systématiquement, et retourna derrière son comptoir, pour se trouver à l'abri du spectacle prochain. Car bien que l'elfe ne boive que peu pendant son travail, contrairement à beaucoup d'autres gardes, il générait pour l'aubergiste un chiffre d'affaire très impressionnant en massacrant ceux qu'il entendait murmurer dans un coin "Tu crois que l'Impératrice a un amant ?" ou "Moi, Talos, s'il était pas là, je me porterais pas plus mal." en utilisant un sort d'ouïe à distance.

 

Un bruit métallique dans un coin de l'auberge, et tous deux tournèrent la tête vers la table où un homme, caché sous un grand manteau ramassait une pièce tombée par terre. le bras s'allongea pour atteindre la pièce d'or, et laissa apparaître un gant en cotte de mailles portant un insigne de Helm. L'aubergiste savait que l'elfe l'avait vu, et il sourit en pensant au contenu de la bourse apparement bien garnie de cet espion helmite particulièrement stupide et maladroit. Le spectacle s'annonçait aussi agréable que le profit...